Bien gérer son portefeuille, c’est aussi savoir maîtriser ses émotions. Cela se fait en prenant des risques mesurés et en comprenant bien les enjeux. Décryptage, la newsletter de PurePerf, vous aide chaque mois à analyser l’environnement économique et les forces qui animent les marchés. En toute humilité, nous partageons nos vues sur les risques et les opportunités à venir.

La citation du mois

“Treasury auctions are like the plumbing of a toilet: You only pay attention when something goes wrong.”

James Macintosh

(En français : “Les marchés obligataires, c'est comme les toilettes. Tant que ça marche, on ne s'en occupe pas.”

La prochaine crise viendra-t-elle des marchés obligataires ?

Alors que les marchés semblaient amorcer un rebond, tout a basculé le 21 mai : actions, obligations et dollar ont chuté en même temps. Ce triple mouvement a été déclenché par une adjudication ratée d’obligations du Trésor américain à 20 ans. La demande a été faible, et le rendement servi a dépassé 5 %, un seuil rarement franchi.

Ce nouvel accès de tension intervient dans un contexte déjà fragilisé. La veille, une émission japonaise à 20 ans avait déjà suscité un accueil froid. Les investisseurs, inquiets de la trajectoire budgétaire des grandes économies, se montrent désormais plus sélectifs, même sur les actifs réputés les plus sûrs.

La réaction des marchés confirme que les bons du Trésor ne sont plus perçus comme une valeur refuge inconditionnelle. Si la perte récente de la dernière note AAA des États-Unis par Moody’s n’avait pas immédiatement déclenché de mouvement d’ampleur, cette adjudication ratée a marqué un changement de perception. La hausse de la prime de risque sur la dette américaine s’accélère, nourrie par les déficits persistants, l’augmentation de la dette fédérale et le manque de visibilité sur la politique budgétaire à venir.

La comparaison avec 2011, lors de la première perte du AAA par S&P, montre une situation bien différente. À l’époque, malgré une dette élevée, l’inflation et les taux courts étaient faibles. Aujourd’hui, le taux directeur est au-dessus de 4.25%, la dette dépasse 120% du PIB, et les anticipations d’inflation sont en hausse. Le Trésor ne peut plus compter sur un refinancement à bon compte.

La prime de terme – c’est-à-dire le supplément de rendement exigé pour détenir une obligation longue – reste historiquement basse, mais elle monte. Certains anticipent une poursuite de ce mouvement, dans un scénario où l’absence de discipline budgétaire finirait par peser durablement sur le coût de financement de l’État.

Dans ce climat d’incertitude, certains pays reconsidèrent leur exposition à la dette américaine. La dédollarisation avance, lentement mais sûrement. Si le rendement des emprunts d’État à 10 ans dépasse durablement 5 %, ce pourrait être un tournant.

Les tensions obligataires sont mondiales

En mai, le rendement de l’obligation japonaise à 30 ans a dépassé les 3 % – du jamais vu depuis 25 ans. Cela dépasse largement le cadre local.

Pourquoi c’est important :

  • Le Japon est le premier détenteur étranger de bons du Trésor américains
  • Pendant des décennies, les investisseurs japonais ont recyclé leur épargne nationale vers des actifs américains plus rémunérateurs, contribuant à maintenir les taux longs américains à bas niveau
  • Aujourd’hui, avec des JGB (obligations d’État japonaises) à 3%, ils n’ont plus besoin d’aller chercher du rendement ailleurs.

Depuis la fin du contrôle de la courbe des taux au Japon, on observe un début de réorientation des flux. Ce mouvement pourrait peser durablement sur la demande de emprunts d’État américains et sur les taux d’intérêt US à long terme.

Les questions sont nombreuses :

  • Qui comblera la baisse de demande étrangère ?
  • Quel sera le nouveau coût du capital dans un monde sans portage ?
  • Que donnera une courbe de taux enfin « normale » au Japon ?

Et surtout : les marchés obligataires vont-ils continuer à se rebeller tant que gouvernements et banques centrales ne réajustent pas leur politique ?

Une dynamique globale de rejet

Ce qui se passe n’est pas propre aux États-Unis ou au Japon. Les marchés obligataires commencent à rejeter les politiques à long terme menées par de nombreux pays dans le monde, qui adoptent la même approche :

  1. Une inflation sous-jacente qui reste au-dessus de la cible
  2. Des banques centrales qui adoptent un ton accommodant, avec des taux anticipés inférieurs au niveau neutre qui maintiendrait l’inflation sous contrôle
  3. Des gouvernements qui creusent les déficits.

À cela s’ajoute un déséquilibre croissant entre l’offre et la demande.

Les déficits publics augmentent l’offre d’obligations, et l’acheteur marginal exige désormais une rémunération plus élevée (des rendements plus importants) pour prendre le risque d’investir à long terme dans ce contexte.

États-Unis, Japon, France, Royaume-Uni, Canada, Australie tous suivent une trajectoire budgétaire plus expansionniste, avec une inflation encore mal maîtrisée et une posture monétaire trop conciliante.

Comment positionner son portefeuille ?

Pour répondre à cette question, il faut se demander comment les États sortent d’une crise d’endettement. L’histoire montre que la solution passe souvent par une dilution progressive de la dette via l’inflation.

Cela revient à appliquer une forme de taxe indirecte sur le consommateur, en laissant l’inflation rogner la valeur réelle de la dette. Il suffit de maintenir les taux d’intérêt à court terme en dessous du rythme de la croissance nominale (c’est-à-dire sans corriger de l’effet prix).

Lorsque les taux sont inférieurs à l’inflation, et que la croissance nominale reste au-dessus de celle-ci, le ratio dette/PIB baisse mécaniquement.

Dans ce contexte, les obligations à long terme deviennent vulnérables. Mieux vaut privilégier les actifs réels : matières premières et actifs tangibles.

À l’exception de l’or physique, qui a fortement contribué à la performance, notre stratégie n’a pas détecté de signaux d’achat clairs sur les matières premières depuis des mois. Mais leurs niveaux restent bas, et nous restons attentifs à l’affût.

Avec une progression d’environ 2,5% depuis le début de l’année, notre portefeuille a produit une performance régulière, sans prise de risque excessive. L’exposition aux obligations longues reste faible – un choix cohérent avec le régime actuel.

Capter les tendances durables, ajuster les voiles quand il le faut, mais sans jamais perdre le cap : tel est l’objectif de PurePerf. La compréhension des dynamiques à l’œuvre nous permet d’éviter les zones de turbulence et de saisir les opportunités lorsqu’elles se présentent

Bien cordialement,

L’équipe PurePerf